大家好,这里是小橙的杂文分享栏目。每周二分享一部作品,共赏文学之美,记得来看哦~
今天是专属于男神加缪的特别刊
对于世界
我永远是个陌生人
我不懂它的语言
他不懂我的沉默
我们交换的
只是一点轻蔑
如同相逢在镜子中
——摘自北岛《无题》
La mort heureuse
《快乐的死》
特别刊自然是特别一些,今儿没有作者介绍和résumé,我们直接进入正文
温馨提示:此次篇幅稍长,大家慢慢阅读,感谢各位支持,比心!
自然的死
梅尔索谋杀了萨格勒斯,一个双腿残疾的富商。
一场完美谋杀。Un crime crapuleux.
梅尔索是谁,萨格勒斯又是谁,故事还得从头说起。
梅尔索 (Mersault) 是个身材高大、富有活力的年轻人,与母亲相依为命,住在一个破败肮脏的小公寓里,母亲去世后,本来就朋友不多的他显得更加寂寞孤独,“如今,孤独一人的贫穷,却是一种悲惨的不幸”。
梅尔索的生活每天在咖啡馆和柏油味之间来回摆荡,与他自身很疏离,外部世界的炽热喧嚣和内心深处的空洞对比强烈;他漠不关心,无论是餐馆老板惊心动魄的参军经历还是患有肺结核的相熟之人的悲惨故事,都无法勾起他的交流欲望,常以冷淡和抗拒回应;闲暇时,为了熬过一天,坐在自家阳台上冷漠地观察着周围环境里的一切人事,仿佛自己只是世界的旁观者,非参与者。
他的疏离与冷漠,即使是面对情人马莎 (Marthe),也并未有太大改变。马莎有张“彩绘女神般的脸庞”,光彩夺目,但梅尔索与她在一起,更多是因为虚荣,因为马莎是他“快乐的借口”,而不是因为爱情。
« Tu m’aimes », dit Marthe sans transition.
Mersault soudain s’anima et rit très fort.
« Voilà une question bien grave. »
« Réponds. »
« Mais à notre âge, on n’aime pas. On se plaît, c’est tout. C’est plus tard, quand on est vieux et impuissant qu’on peut aimer. À notre âge, on croit qu’on aime. C’est tout, quoi. »
在马莎的介绍下,梅尔索认识了马莎的第一位情人萨格勒斯 (Zagreus),那个因车祸而双腿截肢的富商。萨格勒斯告诉梅尔索要“活着并且快乐”。在人的一生中,如何才能感受到自我的满足和人生的喜悦。在萨格勒斯看来,人没有钱不可能快乐:有钱即是有时间,时间可以买,凡事都能买,有钱就是在能配得上快乐时,有时间可以快乐,“任何人只要对快乐有概念、有意愿且有要求,便有权当个有钱人”。
如今的萨格勒斯,因为残疾活的痛苦没有尊严,他为自己准备了一份遗嘱和一把枪,“死亡最令我恐惧的,是它将让我很确定,我的人生耗尽时,我从未参与其中”,他并非真正的想自杀,只是当自己抑郁崩溃时用枪抵着太阳穴、凝视着遗书进行一次“灵魂上的自我辩论”,最终的结果都是“即使像我现在这模样,我仍怀有希望”。
« Voyez-vous, Mersault, pour un homme bien né, être heureux, ça n’est jamais compliqué. Il suffit de reprendre le destin de tous, non pas avec la volonté du renoncement, comme tant de faux grands hommes, mais avec la volonté du bonheur. »
« Tout pour le bonheur, contre le monde qui nous entoure de sa bêtise et de sa violence. »
“要不计代价追求快乐,抵抗这个以愚蠢和暴力将我们包围的世界。”
梅尔索理解了萨格勒斯的话,但贫穷的生活和每天八小时的枯燥工作阻碍了他去寻求快乐。从谈话结束一直到回到公寓,梅尔索都思索着如何“不计代价”来获得快乐。后来公寓里一个贫苦困顿的制桶匠的遭遇让梅尔索感受到内心长久以来首度如海水般涨起的绝望。面对眼前的不幸和孤独,在袭上心头的强烈悲怆中,梅尔索深深理解到,内心唯一真实的是他对人生的愤慨,其余的只是贫苦和逆来顺受。
他终于爆发了,策划谋杀了萨格勒斯,营造出自杀的假象,卷走了萨格勒斯的钱,出发旅行,去体验所谓有钱有闲的“快乐”生活。
有意识的死
1布拉格
在这个陌生的城市,他毫无所依,生活并不像他想象的那样富有乐趣,仍如以往那般日复一日,不见终点。呆在一间脏乱破旧的小旅馆房间里,面对如此的荒凉和孤单,他感到自己远离一切,甚至远离了发烧,“如此清晰地体验到养尊处优人生本质的荒谬和可悲”。
每日他被卖报小贩的吆喝声唤醒,顶着一头杂乱的头发,独自在城镇里游荡。他不去买梳子只是因为这种匮乏感是他不知不觉中所期待的,他路过许多饭店最终还是选择之前几次去过的肮脏小餐馆也只是为了得到一丝熟悉感。街头老妇人每天都在固定地点贩卖着醋腌小黄瓜,尖锐的醋酸味刺激着梅尔索,引起强烈不适,加重了他的焦虑与敏感……
布拉格
每天,梅尔索都考虑着要离开,而每天,他都更随波逐流一些,追求快乐的意志不再那么引领他。在布拉格痛苦的深夜,他发着烧,呼吸困难,怀念之前满是阳光和女人的城市,泪水溃堤,“他内心里泛起一大片孤独寂静的湖,湖上飘扬着他解脱的悲戚之歌”。
他离开了。
2维也纳
搭乘横跨大半个欧洲的列车,经过布雷斯劳继续南下,到达维也纳。
再次从梦中醒来时,梅尔索的烧已完全消退,在一个交替着阳光和雨丝的上午,他开启了参观之旅,这是个清新的城市,有美丽的风景,有光彩夺目的女人,有释放自我的舞厅,但这一切仍不能让他的内心感到愉悦。梅尔索想起了自己的朋友,萝丝 (Rose) 、克莱儿 (Claire)和凯特琳 (Catherine),三个突尼斯大学生,他给她们写信,决定经由热那亚返回阿尔及尔。“由于一直被孤独和陌生感所荼毒,在展开自己的人生戏码之前,也需要退避到友谊和信任里,尝一尝表象的安全感。”
维也纳史蒂芬大教堂
在这一路上,他思考了很多,感觉在历经了这场动荡和风雨后,他看的很清晰:
Il avait longtemps espéré l’amour d’une femme. Et il n’était pas fait pour l’amour. À travers sa vie, le bureau des quais, sa chambre et ses sommeils, son restaurant et sa maîtresse, il avait poursuivi d’une recherche unique un bonheur qu’au fond de lui, et comme tout le monde, il croyait impossible. Il avait joué à vouloir être heureux. Jamais il ne l’avait voulu d’une volonté consciente et délibérée. Jamais jusqu’au jour... Et à partir de ce moment, à cause d’un seul geste calculé en toute lucidité, sa vie avait changé, et le bonheur lui semblait possible.
我认为这里“geste”即指他精心策划的谋杀,梅尔索有意识地想要快乐,以为带走了萨格勒斯的钱财可以找到快乐,可他却总是想着在他最糟糕时候和马莎在一起的日子。梅尔索突然发现,他人生中最美好的部分终究与最糟的部分结合而密不可分。« Comme il arrive souvent, ce qu’il y avait de meilleur dans sa vie avait cristallisé autour de ce qu’il y avait de pire. »
3
阿尔及尔 / 眺望世界之屋
梅尔索在女大学生朋友家中度过了一段时光,信任和友谊、阳光和白色屋舍、几乎听不到的弦外之音,从这当中萌生出完整无缺的快乐;他们都认为“眺望世界之屋”是一间让人可以快乐的屋子。在这里,梅尔索认识了后来的妻子露西妍 (Lucienne),他们的相识也十分奇妙。在梅尔索眼中,露西妍欠缺知性之美,这是一种神圣性,他比任何人都更珍惜这一点,这一点触动着他的内心,但这却同样并不是爱。
他在“眺望世界之屋”的短暂时光虽然温馨,但这是几个年轻漂亮的女大学生的快乐生活,而不是他的,于是梅尔索再次踏上旅途,他要旅行一阵子再定居阿尔及尔一带。在他离开之前,露西妍提出要与他生活在一起,梅尔索断然拒绝;当露西妍提出与马莎同样的问题“你爱我吗”时,梅尔索的回答充满了他一贯漠然的风格:
« Crois-moi, il n’y a pas de grande douleur, pas de grands repentirs, de grands souvenirs. Tout s’oublie, même les grands amours. C’est ce qu’il y a de tristesse et d’exaltant à la fois dans la vie. Il y a seulement une centaine façon de voir les choses et elle surgit de temps en temps. C’est pour ça qu’il est bon quand même d’avoir eu un grand amour, une passion malheureuse dans sa vie. Ça fait du moins un alibi pour les désespoirs sans raison dont nous sommes accablés. »
4
定居海边小屋
梅尔索在这里结识了断臂的佩雷兹,还有与他三观非常一致的一生贝尔纳 (Bernard),在人来人往中,梅尔索和贝尔纳都察觉到彼此是孤身一人,是不快乐的。在这个海边小镇,“不明的疲惫”蔓延在生活中,梅尔索的孤独感再次顺势而上,侵蚀着他原本值得炫耀的健硕身躯。独居期间,有露西妍偶尔的陪伴,也有萝丝等人的拜访,但他作为这个世界的旁观者,孤独如影随形,这感觉是那么真实,令他心中充满强烈依附上来的抑郁。
阿尔贝·加缪
梅尔索病倒了,胸膜炎数度发作,卧床期间,在孤独而寂静的夜里,他严肃沉思,人生显得如此遥远,他孑然一人,对于一切和自己都漠然无感,他感觉到“快乐离泪水多么的近”,“人一生的希望与绝望都参杂交织在其中”。高烧中,他回顾自己的一生,到目前为止,他一直在“过活”,一直在旅行中追求的所谓的快乐只是他人口中的快乐,他现在终于明白:只要他曾经存在过,那就是快乐;由人创造命运的这项抉择,他是在神志清楚时,凭着勇气完成的,他没法选择何时去死,但可以选择以怎样的姿态死去,这便是快乐。
梅尔索回想起萨格勒斯死之前眼眶里打转的泪水,那是不曾有机会参与自己人生的人的最后脆弱。但梅尔索不害怕这种脆弱,他要保持清醒意识,毫不退却,独自和自己身体面对面,睁大眼睛直视死亡。
“他呼吸得愈来愈急促……他毫无抽搐的微笑着,这笑容也是来自内在……他成了众石子间的一颗石子,在内心的喜悦中,回归静止世界的真相。”
我想,这种喜悦就是对书名《快乐的死》的解释与呼应。
« L’erreur, petite Catherine, c’est de croire qu’il faut choisir, qu’il faut faire ce qu’on veut, qu’il y a des conditions du bonheur. Ce qui compte seulement, tu vois, c’est la volonté du bonheur, une sorte d’énorme conscience toujours présente. Le reste, femmes, œuvres d’art ou succès mondains, ne sont que prétextes. »
« Ce qui m’importe, c’est un certaine qualité du bonheur. Je ne puis goûter le bonheur que dans la confrontation tenace et violente qu’il soutient avec son contraire. »
« On ne vit pas plus ou moins longtemps heureux. On l’est. Un point, c’est tout. Et la mort n’empêche rien – c’est un accident du bonheur en ce cas. »
拓展
看完以上,不知道大家是否觉得小说《快乐的死》似曾相识。梅尔索和默尔索、冷漠与疏离、谋杀与枪击、餐馆老板Céleste、最终死亡等等,有人说《快乐的死》有《局外人》的影子,其实不然。《快乐的死》是加缪处女作,写于其24岁,但由于作品完成度问题,直至死后才发表。与《局外人》相比,在这部小说中,加缪并没有融入过多的哲学思想;同样是表达冷漠、麻木和疏离,默尔索完全是世界的局外人,而梅尔索则有更多内心活动和情感流露。可以说,《快乐的死》为其以后的写作奠定了基础,有一定影响。
此外,一则小建议:《快乐的死》和加缪散文集《反与正》搭配使用效果更好哦。两本书有互通之处,可帮助理解,尤其是其中一篇《灵魂之死》与小说有诸多相似点:布拉格、旅馆34号房间、醋腌小黄瓜、维也纳······
“一千个读者就有一千个哈姆雷特”,同样,每个人对梅尔索的理解也会千差万别。梅尔索眼中的快乐究竟是什么?为什么有了金钱,孤独却并不离开?为什么他在“眺望世界之屋”感到快乐后,要再次选择旅行?愿读了这本书的你有所思考有所启发。
最后,附上加缪于1957年获得诺贝尔文学奖时发表的演讲文字版
Camus : Discours de Suède, du 10 décembre 1957
Sire, Madame, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs,
En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l’heure où, en Europe, d’autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?
J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires : l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.
Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l’art.
Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.
Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi : par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui furent confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.
Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent, dans le monde, la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.
Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.
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